Méditerranée, le temps des récits
Entre guerres et paix ?
La Méditerranée n’existe que pour autant qu’elle se raconte. Elle a l’étoffe de nos songes et la texture de nos récits. « Identité narrative » dirait Paul Ricoeur. Loin d’une Méditerranée simplement irénique, théâtre de la villégiature, destination favorite des touristes, européens, ou « lit nuptial entre l’Orient et l’Occident », selon le rêve des Saint-simoniens au XIXe siècle, elle est traversée par le tragique, par le grand fracas des violences et des guerres, des croisades et des djihads, des conquêtes, impériales ou nationales, des naufrages et des murs, des affrontements, supposés, entre civilisations ou des partages au long cours qui font toute la singularité de cette mer entre les terres.
Il s’agit ici, aux Rencontres d’Averroès, de tenter de « penser la Méditerranée des deux rives ». Ce n’est pas un slogan mais un point de vue qui invite à décentrer notre regard à partir de Marseille. C’est la recherche, inlassable, d’une réciprocité des approches et des questionnements, la quête d’une histoire « à parts égales » et le désir de dessiner un possible monde commun, les yeux grands ouverts sur le monde tel qu’il va.
En ces années 20 du XXIe siècle, le monde tel qu’il va ne va pas très bien. Les crises s’accumulent et les récits qui annoncent la catastrophe gagnent en intensité et en crédibilité. Et après ? Comment préserver à la fois un souci du monde et une intelligence de l’avenir ?
Après l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, l’Europe semble redécouvrir la guerre. L’avait-elle oubliée ? Les guerres en ex-Yougoslavie, le siège de Sarajevo, la destruction de Vukovar ou du pont de Mostar, la purification ethnique à Srebrenica, les affrontements au Kosovo ou les bombardements de l’Otan en Serbie ne sont pourtant pas si anciens… Depuis la Seconde Guerre mondiale, et en dépit de la guerre froide et de la guerre des Balkans, l’Europe n’a plus vraiment connu de près la guerre. Toute une génération politique ne sait pas – ou plus– ce qu’est l’épreuve des armes, tenue à distance.
Or, depuis l’autre rive de la Méditerranée, les guerres n’ont pas cessé d’imposer violences et chaos : entre Israël-Palestine et une partie du monde arabe en 1948, 1956, 1967, 1973…, la guerre et son régime d’occupation n’ayant pas vraiment cessé depuis. Guerre à Chypre, en 1974, au Liban depuis 1975, décennie noire en Algérie dans les années 1990, guerre Iran-Irak, guerres du Golfe et interventions militaires américaines à répétition, guerres et révolutions arabes, après 2011, en Syrie, en Libye et jusqu’au Soudan…
Depuis les autres rives de la Méditerranée, le phénomène guerre est partout, il rythme le temps du monde et instaure un véritable écart avec la Méditerranée européenne.
Entre guerres et paix ?
Comment prendre la mesure de ce qui vient et comprendre au mieux ce qui peut se dessiner à l’échelle des relations entre Europe et Méditerranée ?
Le temps des récits, au long cours, est nécessaire pour tenter d’y voir clair, à partir de différents « plans de consistance », comme dirait Gilles Deleuze, et selon des points de vue contradictoires :
Paix et guerres entre les religions ? (1re table ronde)
Paix et guerres entre les nations ? (2e table ronde)
Paix et guerres entre les civilisations ? (3e table ronde)
Paix et guerres à l’horizon ? (4e table ronde)
C’est autour de ces quatre tables rondes et de ces différents récits que se dessine l’architecture des Rencontres d’Averroès cette année.